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 Sérendipité et Franc-Maçonnerie

La scène se déroule place du Nombre d’Or, quartier Antigone, à Montpellier.

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Je déjeune au restaurant Le César avec Jean Coulomiès. Je préside les DCF, Dirigeants Commerciaux de France, et Jean fait partie de mon bureau. Nous déjeunons ensemble pour parler d’une manifestation que nous organisons ensemble. Au détour d’une phrase, je lui cite les EDC, autrement dit les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens. Je ne sais même pas pourquoi je lui cite cette association dont je suis membre et qui est assez confidentielle. En entendant le nom de cette association, Jean sursaute et s'exclame immédiatement : « Mais tu es chrétien, Florian » ? Je lui réponds : « Oui, je suis baptisé ». « Oui, mais tu crois en Dieu ? » Il m’a posé cette question d’un air bienveillant qu’accompagnait un sourire complice, et il semblait attendre une réponse positive. Je n’ai pas voulu entrer dans de grandes explications pour lui exprimer mes relations complexes avec Dieu qui ne pouvait se résumer à « je crois » ou « je ne crois pas ». Pourtant, je lui ai répondu « oui, Jean ». Son sourire s’est élargi et j’ai senti comme un soulagement dans son expression, et son corps s’est projeté en avant. « Il faut que je te parle de quelque chose d’important, Florian ».

Et c’est comme cela que je suis entré en FM, dans une Loge travaillant au rite français, avec Jean comme parrain, au sein de la GLNF, obédience où la croyance en Dieu est obligatoire, où les travaux sont ouverts au Prologue de St Jean et où l’on prête serment sur la Bible.

C’était en 1999, et j’espérais trouver les réponses aux questions que je me posais. En fait, en guise de réponses, je n'ai trouvé que de nouvelles questions.

J’ai relu la Bible. J’ai enfin lu la Bible, devrais-je dire, car mes précédentes lectures en étaient fort superficielles. J’ai ensuite dévoré d’innombrables livres sur la FM, j’ai participé avec boulimie aux Tenues d’instruction qu’animait mon second S. puis mon 1er  S.. J’étais celui qui posait le plus de questions. Je les ai épuisés…

Je cherchais à approfondir les concepts d’immanence, de transcendance, de spiritualité. Je cherchais à comprendre qui était Jésus, quel était son message. J’ai découvert… l’athéisme, l’anticléricalisme et la laïcité. J’ai même entendu (dans certaines Tenues) des expressions que je croyais entièrement révolues comme « à bas la calotte ». Pas à la GLNF, bien entendu, mais j’ai découvert, en quittant la GLNF, une mosaïque d’idées, une diversité de convictions, une profusion de dogmes que les intéressés ne voulaient sûrement pas caractériser comme tels mais qui étaient de réels dogmes.

J’ai cherché la fraternité et je l’ai trouvée. Mais j’ai trouvé également de l’hostilité, de l’inimitié. J’ai même trouvé de la haine.

J’ai cherché de la solidarité et je l’ai trouvée. Mais j’ai trouvé également de l’indifférence, de l’individualisme, de l’égoïsme.

J’ai cherché de l’exemplarité et je l’ai trouvée. Mais j’ai trouvé également des gens décevants, en décalage avec les propos qu’ils tenaient.

J’ai cherché de l’humilité et je l’ai trouvée. Mais j’ai trouvé également des egos démesurés, des m’as-tu vu, des prétentieux.

J’ai cherché de l’érudition et je l’ai trouvée. Mais j’ai trouvé également des beaux parleurs dotés d’une bonne mémoire, en quête d’un public conquis : de véritables "maçonnologues" à qui il manquait l’intelligence du cœur.

Bref, vous l’avez compris : j’ai découvert ce que je ne cherchais pas...

Et c’est justement là le concept de Sérendipité.

Vous connaissez tous les exemples célèbres de la pénicilline, du viagra, du velcro ou du post-it :

La pénicilline

Alexander Fleming découvre une moisissure qui a contaminé sa culture de staphylocoques, éliminant ceux-ci de la zone qu'elle occupe. C'est parce qu'il y prête attention qu'il finit par découvrir les propriétés de la substance bactéricide produite par la moisissure. La même chose était déjà arrivée à des quantités de bactériologistes qui s'étaient contentés de jeter les cultures.

 Le Viagra

Le but premier de Pfizer était le traitement de l'hypertension artérielle pulmonaire. Lors des études cliniques de phase I, deux chercheurs constatent que l'effet sur l'angine de poitrine n'était pas celui attendu. En revanche, un des effets secondaires observés, inattendu, était que le sildénafil provoquait des érections, voire du priapisme. Pfizer décida alors de repositionner le sildénafil sur l'indication de l'impuissance sexuelle et des troubles de l'érection, alors dépourvus de médicament.

Le velcro

Georges de Mestral a inventé le Velcro. Mestral ne cherchait rien. Il promenait son chien. Et s'il cherchait quelque chose, c'était de le débarrasser des fruits de bardane qui s'accrochaient aux poils de son chien, ou de trouver le moyen qu'il ne s'en accrochât pas d'autres lors de la prochaine promenade. Il regarde les fruits au microscope. Cela lui donne l'idée d'une fermeture textile en nylon. C'est une découverte qui déclenchera accidentellement un long processus d'invention et d'innovation (l'idée est de 1941, le brevet de 1955).

 

Le Post it

Un ingénieur de la société 3M crée un système de colle, mais c’est un échec car elle ne tient pas et le papier se décolle instantanément. Le projet est abandonné jusqu’à ce qu’un autre ingénieur rebondisse sur cette caractéristique et fasse de ce défaut une véritable qualité.

Il existe d’innombrables exemples de découvertes ou d’utilisations liées à la sérendipité : la tarte tatin, le four à micro-ondes, l’imprimante à jet d’encre… sans oublier Christophe Colomb qui découvre l’Amérique en croyant découvrir les Indes…

La sérendipité consiste bien à trouver quelque chose alors que l'on ne cherchait rien, où à trouver par hasard l’idée de ce que l'on ne cherchait pas.

En analysant attentivement les exemples cités, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas réellement d’un hasard. En effet, tout le monde a constaté que les pommes tombaient du pommier, mais un seul a réagi. Tout le monde a constaté qu’un corps plongé dans un liquide subit une certaine pression, mais un seul a théorisé ce phénomène.

Ce que je veux dire, c’est que, placés dans une même situation, deux individus ne réagissent pas de la même manière. Seuls ceux qui ont un esprit préparé vont réagir.

Quand la GLNF a explosé, plusieurs choix s’offraient aux F. Je dis F. car l’Obédience est masculine : cesser la maçonnerie, adhérer à une Obédience (oui mais laquelle ? Une Obédience masculine comme la GLF ou mixte comme le DH ou la GLMF ?). Oui, mais en adhérant à une autre « grande » Obédience, ne risque-t-on pas de retrouver les mêmes problèmes déjà rencontrés ? Créer une autre Obédience ? Adhérer à une plus petite Obédience ? Rester dans la GLNF ?

Une solution n’est pas meilleure qu’une autre. Elle correspond à sa personnalité propre, à ses valeurs, à sa trajectoire de vie.

Mais que va-t-on trouver demain ? Ce que l’on cherchait ? Fraternité universelle, solidarité, perfectionnement intérieur, possibilité de transformer le monde ?

Rappelons-nous notre propre démarrage en FM : si notre parrain a bien fait son travail et si les enquêteurs ont bien fait le leur, on a dû se retrouver dans une structure correspondant à nos aspirations… travaux sociétaux ou symboliques, environnement spirituel ou laïc pour faire simple… Dans la pratique, on a trouvé quelque chose que l’on ne cherchait pas, que l’on ignorait… mais en y étant un peu préparé.

Quand j’ai quitté la GLNF, quand notre Loge a quitté la GLNF, nous étions 28 sur 35 à demeurer groupés autour de nos anciens VM. Après de nombreuses réflexions, nous avons adhéré au GOTM, Grand Orient Traditionnel de Méditerranée créé par Simon Giovannai, ancien Grand Maître du GO et qui fédérait une dizaine de Loges. Nous avons découvert le temple de Lunel-Viel, où nous nous trouvons, et nous avons surtout découvert un nouvel horizon maçonnique, nous avons pu visiter des F. que nous dénommions « cousins » (pour bien montrer que les réguliers, c’étaient ceux de la GLNF), nous avons découvert la mixité, nous avons découvert des travaux sociétaux et nous avons découvert un mode de fonctionnement plus intimiste alliant rigueur et souplesse, tradition et innovation.

C’est cette nouvelle vie maçonnique, ce nouvel espace de liberté qui m’a donné l’envie de créer une nouvelle Loge, mixte cette fois-ci, après avoir été VM de La Voie d’Hiram durant deux ans ici-même. J’ai rassemblé des S. et des F. qui étaient épars, qui venaient de différentes Obédiences, et ce projet devait se réaliser au sein du GOTM. Pour diverses raisons, cela ne s’est pas produit et notre choix s’est porté sur l’ALS, l’Alliance des Loges Symboliques présidé par Luigi Sorrento que nos différentes rencontres m’avait fait grandement apprécier.

C’est vraiment par sérendipité que la rencontre avec Luigi s’est réalisée, et c’est parce que les esprits étaient bien préparés qu’en 2013 nous avons créé une nouvelle RL.

Le choix du nom s’est imposé comme une évidence : SÉRENDIPITÉ ET SPIRITUALITÉ.

Effectivement, chacun entre en FM en cherchant quelque chose, et nous tous avons trouvé quelque chose que l’on ne cherchait pas. Et nous avons tous trouvé quelque chose de différent. C’est la beauté de la FM que d’être multiforme, une véritable mosaïque, un véritable puzzle que chacun reconstitue à son rythme correspondant à une image différente.

Le rituel représente pour certains la rigueur, pour d’autres le livret du spectacle qui se joue.

Se déplacer en Loge, se mettre à l’ordre, prendre la parole… représente pour certains une posture de respect, pour d’autres un rôle artificiel.

Les cérémonies représentent pour certains un cadre solennel propice à l’égrégore, pour d’autres un spectacle qui se répète à l’infini.

Je définirai, en ce qui me concerne, la FM comme un long parcours.

L’image ne concerne pas un parcours ascendant, car cela induirait un sentiment de supériorité, d’élitisme.

Non, pour moi, le chemin est horizontal et doit mener vers la vérité et la sagesse.

De plus, ce chemin n’est pas linéaire. Il est parsemé de bifurcations qui exigent des choix, et donc des renoncements.

Ce n’est pas une autoroute mais un agréable chemin fait de rencontres, de comparaisons, de choix. Un chemin n’est pas meilleur qu'un un autre. Il est simplement différent et doit correspondre à la personnalité de celui qui l'emprunte, à ses valeurs, à son intuition. Tous les chemins comportent des obstacles, des difficultés à surmonter, et nécessitent des efforts personnels ; mais quasiment jamais ils ne débouchent sur une impasse.

En mon for intérieur, je considère que ces choix illustrent la Sérendipité ; car ce que l’on découvre, au fur et à mesure de notre progression, nous rend plus fort, nous fait grandir, nous rend plus sage…

Mais pourquoi ce concept s’appelle-t-il sérendipité ? Quel est l’origine de ce mot entré depuis peu dans le dictionnaire ?

Le terme sérendipité a été inventé par l’auteur anglais Horace Walpole, dans une lettre du 28 janvier 1754 dans laquelle il écrit : « Cette découverte, en effet, est presque de ce genre que j’appelle sérendipité, un mot très expressif. »

Issu du persan Sarandip et de l’arabe Sarandib, Walpole a formé le mot à partir d’un vieux nom Sri Lankais, Serendip. Il a expliqué que ce nom faisait partie du titre d’un « conte de fées », intitulé "Les Trois Princes de Serendip".

Giafer, philosophe-roi de Serendip, ancien nom de l’île de Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka), avait trois fils. Pour parfaire leur éducation, il les envoie explorer le monde. Sur les terres de l’empereur Behram, ils rencontrent un chamelier qui leur demande si, « par hasard », ils n’ont pas vu un de ses chameaux, égaré.  « Est-ce qu’il n’est pas borgne et boiteux ? Est-ce qu’il ne lui manque pas une dent ? Est-ce qu’il ne transporte pas d’un côté du miel et de l’autre du beurre ?» Le chamelier est abasourdi. En vérité, les princes n’ont pas vu la bête, mais interprété avec subtilité certains indices et, par raisonnement, conclu que le chameau était le chameau recherché : l’herbe était rongée d’un seul côté du sentier, des bouchées à demi mâchées, de la largeur d’une dent, jonchaient le sol, des fourmis, aimant le gras, s’étaient agglutinées sur le bord droit de la route, alors que, sur le côté gauche, voletaient des mouches, amatrices de miel…

Tout au long de leur périple, les trois hommes ne cessent de faire des découvertes merveilleuses et inattendues.

Au final, ils repartiront avec d’autres richesses que celles qu’ils pensaient venir chercher.

Il est donc intéressant de conclure par la définition du créateur du mot, Horace Walpole : pour lui, la sérendipité est une espèce particulière de découverte, faite par accident et sagacité, de choses que l'on ne cherchait pas du tout.

Et Voltaire, dans son conte philosophique Zadig, arrive aux mêmes conclusions…

En ce qui me concerne, et je conclurai ainsi, la sérendipité est comme un voyage initiatique. Elle nous propose de faire sauter les a priori et les préjugés, de lâcher prise et de sortir de notre zone de confort qui rassure et à laquelle on est habitué.

En bouleversant l’ordre établi, et en changeant de paire de lunettes, la sérendipité nous invite à prendre un risque et à accueillir la rencontre.

La rencontre de soi.

La rencontre de l’autre.

La rencontre qui déstabilise, émerveille, enseigne, blesse, transcende, fait grandir.

Tout simplement la rencontre avec la Vie.

La sérendipité n’est pas liée exclusivement à la chance ou au hasard. C’est la capacité de chacun à saisir une opportunité. C’est être réceptif à ce qui se passe autour de soi. C’est innover. C’est oser.

C’est aussi prendre la liberté de comprendre – ou pas – le message qui est devant nos yeux mais qui n’est visible et lisible que par certains. (Ne sommes-nous pas là en pleine symbolique maçonnique ?…).

Je vous souhaite de voir avec votre cœur et pas uniquement avec vos yeux, d’écouter avec votre sagacité et pas uniquement avec vos oreilles, de toucher avec votre intelligence relationnelle et émotionnelle et pas uniquement avec vos mains, de sentir avec votre intuition et pas uniquement avec votre nez, de goûter avec votre curiosité et pas uniquement avec votre langue ou vos papilles…

Je vous souhaite d’être prêt à toute nouvelle rencontre durant votre parcours maçonnique que j’espère toujours empreint de l’émerveillement du jeune apprenti. Soyez les initiés de la Sérendipité !

 

3 ANNEXES

 

Les quatre types de sérendipité de Mark de Rond (2005)

L'ethnographe Mark de Rond de l'Université de Cambridge (U.K.), prenant comme exemples les découvertes de la pénicilline, de l'ADN, de la PCR (Réaction en chaîne par polymérase) et du Viagra propose une typologie matricielle basée sur deux axes, celui de l'intention (pseudo-sérendipité vs. sérendipité) et celui de la relation (chance, concours de circonstances favorables, heureuses quant aux résultats finaux vs. hasard) ce qui nous donne quatre types de sérendipité :

1.  On découvre par hasard ce que l'on ne cherchait pas : la pénicilline. Vraie sérendipité.

2.    On découvre autre chose que ce que l'on cherchait grâce à un concours de circonstances favorables : l'aspirine, le Coca-cola, le Viagra. Vraie sérendipité.

3.    On découvre par hasard ce que l'on cherchait : la structure de l'ADN. Pseudo-sérendipité.

4.    On découvre grâce à un concours de circonstances favorables ce que l'on cherchait : la PCR. Pseudo-sérendipité.

 

Les quatre types de sérendipité pour Mark de Rond
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Concours de circonstances

(= Chance)

Hasard pur

Découverte de ce que l'on cherchait.

PSEUDO-SÉRENDIPITÉ

La PCR

(Réaction en chaîne par polymérase)

La structure de l'ADN

Découverte d'autre chose que ce que l'on cherchait.

VRAIE SÉRENDIPITÉ

L'aspirine, le Coca-Cola, le Viagra

La pénicilline

 

 

3 citations

« Dans le champ de l’observation le hasard ne favorise que les esprits préparés » – Louis Pasteur

 « La sérendipité, c’est rechercher une aiguille dans une botte de foin et y trouver la fille du fermier » – Pek Van Andel

« Toutes les choses sont prêtes si nos esprits le sont. » – William Shakespeare

 

 

Historique du mot Sérendipité

Le conte oriental, "Voyages et aventures des trois princes de Serendip", a été traduit du persan en français par le chevalier de Mailly en 1719. En fait, ce dernier n’a fait que transcrire de l’italien un récit du XVIe siècle, le "Peregrinaggio di tre giovani figliuoli del re di Serendippo", que son auteur, Christophe l’Arménien, dit avoir «transporté du persan». Mais là n’est pas non plus l’origine de ce «motif fictionnel millénaire», dont «on trouve plusieurs variantes chez les Hébreux, les Arabes, les Indiens, les Turcs, les Kirghiz, les Hongrois, les Bosniaques, et même chez les Danois» - sans parler du Zadig de Voltaire.

Sylvie Catellin, dans son ouvrage "Sérendipité du conte au concept" aux éditions du Seuil, donne des pistes pour poursuivre ce voyage à travers les littératures, mais elle doit se fixer sur la sérendipité et son «acte de naissance» : c’est le 28 janvier 1754 que pour la première fois l’écrivain anglais Horace Walpole, dans une lettre à un lointain cousin, utilise, en faisant référence aux princes de Serendip, le terme «serendipity», pour désigner la faculté de «découvrir, par hasard et sagacité, des choses qu’on ne cherchait pas».

 

 

 

 

 

Morceau d’Architecture de Florian Mantione,

VM de la RL Sérendipité et Spiritualité.

Mai 2017.

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